Lettres de fusillés

Publié le par Gaëlle Lenfant

Bonjour,

J'ai eu ces derniers jours quelques soucis techniques qui m'ont empêchés de publier des billets, mais tout est rentré dans l'ordre.
Je voulais vous parler de la fameuse lettre de Guy Mocquet, ce jeune militant communiste fusillé à Chateaubriant à l'âge de 17 ans. Mais vous savez tout cela, forcément, puisqu'il semble que Nicolas Sarkozy ait réussi à en faire LE symbole de la résistance, alors même que les historiens ne s'accordent pas tous à qualifier Guy Mocquet de résistant, Berlière et Liaigre écrivant par exemple :

« Ces martyrs propitiatoires proches de la direction nationale sont très tôt érigés en figures éponymes de la Résistance. Or, ce choix, à la lumière de l'Histoire est pour le moins étonnant. Que magnifie-t-on en effet ? Essentiellement leur précocité résistante, quand bien même la plupart des fusillés n'avaient pas « résisté » avant d'être arrêtés, n'avaient pas eu la possibilité de le faire du fait de la ligne alors suivie par le parti. Il n'est pas étonnant dés lors que les otages les plus révérés soient ceux qui ont été appréhendés en 1940 [...] Qu'espère-t-on de retour ? Gommer les errances de 1940, faire croire par le biais de la mort de ces martyrs, que le parti a résisté bien avant le 22 juin 1941" (source : Wikipedia)

Mais ce n'est pas ce débat qui m'intéresse. Guy Mocquet fait partie de ces otages que les Nazis ont exécuté pour l'exemple, pour contraindre la résistance, pour s'assurer de leur victoire guerrière, politique et idéologique à long terme. Et Guy Mocquet doit voir sa mémoire respectée. Qu'il soit devenu un symbole, je trouve cela normal. Qu'il devienne le seul symbole de la Résistance, voilà ce qui me choque.

Ces années de lutte ne se résument pas à cette lettre, et chaque professeur, chaque citoyen doit pouvoir garder, toujours, le choix de ses références. J'écoutais dimanche soir, sur France Culture, la rediffusion de l'émission "Lettres de fusillés". Lectures publiques de lettres issues du musée de la Résistance et publiées aux éditions Tallandier. Tant et tant de mots, de courage, d'honneur, écrits par des hommes connus ou tombés dans l'oubli. J'en ai été bouleversée. (vous pouvez l'écouter ici)

Qu'un professeur souhaite lire plutôt la lettre de Tony Bloncourt et puisse le faire ne plairait peut-être pas à Mr Sarkozy, mais me paraît pourtant relever de nos principes républicains. Que ce professeur ne lise aucune lettre mais organise une rencontre avec un(e) ancien(ne) résistant(e) me paraît tout aussi louable. La commémoration passe encore dans l'étude du parcours de tel ou tel, et pourquoi pas Jean Moulin, qui a été parachuté en 1942 près de Salon-de-Provence ?

Ce débat a pris une importance considérable, et il ne faudrait pas qu'il en occulte d'autres. Pour autant, je crois qu'il est révélateur de la société que ce président veut pour son bon peuple : une société lisse, où la réflexion doit être remplacée par le suivi de la consigne, où la diversité fait place à la division. La résistance est toujours d'actualité, mais voyez comme ce mot, lorsque vous l'employez en référence à la seconde guerre mondiale est symbole d'honneur et de grandeur. Voyez maintenant, lorsque vous l'employez dans un sens plus contemporain comme il est dévoyé : résister, c'est être contre la modernité, c'est empêcher la France de grandir. Les syndicats résistent, et ce sont les français qui sont pris en otages. La gauche n'en a pas fini avec "ses vieilles résistances" et, pendant ce temps là, la droite se décomplexe. 

Quelle est la signification de ce glissement de sens ? Les valeurs de gauche sont les valeurs progressistes. Comment la droite arrive-t-elle aujourd'hui à nous leurrer sur ce sujet, à prendre à son compte le progrès, et faire passer la gauche pour passéiste ? Il est temps de renverser cette manipulation grossière ! 

Le recours à l'ADN pour les familles étrangères, ce n'est pas le progrès. Le procès de Florimond Guimard, ce n'est pas le progès. L'obligation faite aux professeurs de lire la lettre de Guy Mocquet, ce n'est pas le progrès. Non plus que la franchise médicale, la réforme des régimes spéciaux, l'obligation de délation (ASSEDIC, ANPE), la suppression massive de postes de fonctionnaires (aujourd'hui est annoncé la suppression de 8000 à 10 000 policiers et gendarmes à l'horizon 2001), et la liste n'est pas exhaustive !

Nous avons, à gauche, des valeurs communes sur lesquelles nous souhaitons fonder une société plus juste, pour construire, enfin, une République sociale. Faisons grandir ces valeurs, ensemble, au plan national, mais aussi au plan local, sans jamais céder au discours de la droite. C'est aujourd'hui plus que nécessaire.

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